Contes spirituels pour un monde nouveau

La métamorphose (format pdf)

Cela s’était passé au milieu de la nuit.

La nature avait été frappée d'un silence aussi épais et aussi lourd que les cieux privés d’étoiles. L’air avait cessé de virevolter et l’espace s’immergeait dans une atmosphère magique à la fois ouatée et mystérieuse. Dans un espace indéfini de bonté et de bienveillance situé entre ciel et terre, un conseil avait été appelé de toute urgence. Il s'agissait d'une instance suprême, composée de sages venus de nombreux lieux, dont certains de Mareithia, la forêt sacrée, et de Sevenaaz, le vaste océan des temps anciens.

Ces derniers temps, certains habitants des prairies et des montagnes aux reflets mauves avaient semble-t-il fait d’étranges expériences concernant leurs rêves et leur vie quotidienne. Certains prétendaient avoir vu apparaître dans leur logis des formes lumineuses rayonnant de paix et de bienveillance. D'autres avaient décrit comment de façon soudaine l’herbe changeait de forme ou l'onde d’éclat alors qu’ils admiraient les toiles d'araignées dans les prairies ondoyantes ou qu’ils glissaient de chauds orteils dans un ruisseau limpide. Voilà maintenant que tout était mystérieusement immobile sur cette terre devenue tout à coup étrangère. Rien ne filtrait et les délicats pétales des fleurs voisines n’exhalaient aucun parfum. Quel était donc la raison de cette situation aussi inhabituelle et que fallait-il faire ?

Après avoir rendu hommage à la Gloire de la Création, les membres du conseil émirent un rayon de lumière dorée. L’esprit avisé et le cœur noble, ils entourèrent de leur amour et de leur lumière tant les habitants que le monde dans lequel ils vivaient.

C'est à cet instant précis qu'ils découvrirent qu'un papillon particulier avait accidentellement provoqué une série d'événements. Voici ce qui s’était passé.

Il y avait de cela quelques jours, le temps sur la terre avait été radieux et chaud. Faynella, une jeune femme veuve depuis peu, et Serri, son amie de toujours, avaient passé l'après-midi à marcher le long du ruisseau qui serpentait entre les saules sauvages. Faynella lui avait ouvert son cœur secoué de chagrin et meublé de solitude. Serri, à la fois compréhensive et compatissante, avait tenté d’apaiser Faynella et l’avait invitée à mordre de nouveau dans la vie.

« Asseyons-nous ici, près de ce grand saule, et prenons notre repas » proposa gentiment Serri en guidant son amie remplie de tristesse vers un énorme rocher couvert d’une mousse luminescente. Faynella fit un bref signe de tête et les yeux brillants de larmes, regarda vaguement autour d'elle. Alors que Serri étendait sur le sol une couverture jaune et orange aux motifs éclatants, Faynella eut soudain l'étrange impression que quelqu'un l'observait depuis ce rocher.

Elle désigna aussitôt le rocher qui se trouvait derrière elle et dit en chuchotant « Serri, je sens que quelqu'un est ici avec nous. Vois-tu quelque chose ? »

« Hum ! Il s’agit peut-être de ton ange gardien, » répondit l'espiègle Serri en riant gentiment tout en dirigeant son regard vers l'endroit que son amie avait pointé du doigt.

À cet instant précis, derrière l'ancien et majestueux rocher, un papillon or et violet de la taille de la main de Faynella se posa délicatement sur la mousse d’un vert somptueux devant une Serri stupéfaite ! Faynella ne s'était pas encore retournée.

« Fay-nell-a » dit Serri lentement, en détacha les syllabes, « regarde ce beau visiteur ! »

Comme Faynella se retournait, le beau papillon se métamorphosa en un être bienveillant enveloppé d’or et de violet. Alors qu'il ébauchait un sourire d’une grande douceur et rayonnant d’amour à leur endroit, Faynella éclata en sanglots et s'écria : « Éloigne-toi de moi. Va-t'en, maintenant ! »

Son amie, immobile et émerveillée tant par la beauté que par l’éclat de cet être merveilleux, vit un court instant le visage de ce dernier s’assombrir de tristesse. Il disparut soudain et les amies fixèrent avec étonnement un grand rocher moussu et terne.

Serri savait qu'il ne fallait pas demander à Faynella de s’expliquer. Son amie baignait dans la souffrance et l'aide extérieure ne pourrait être que ponctuelle. Elle savait également que si le feu de l’amour se rallumait, sa flamme réchaufferait à nouveau Faynella et le monde autour d’elle.

Les jours suivant la métamorphose, comme Serri l'appelait discrètement, Faynella s’est murée dans une grande solitude. Elle a commencé à ressentir de l'amertume et de la jalousie au moindre rire cristallin. Elle a perdu sa faculté de discernement et ses pensées sont devenues mesquines et sombres. Au moment où elle a brisé l’amitié qu’elle avait cultivée de vieille date avec Serri, tout comme si elle avait déchiré une page d’un livre en menu morceaux et l’avait lancée au vent mordant, les étoiles se sont éloignées de la terre. La nature s’est immobilisée, l’air a cessé de tourbillonner autour des arbres, les parfums se sont dissipés et les petites créatures près du ruisseau se sont tues.

Voilà ce que le conseil avait patiemment observé depuis les hauteurs de la terre.

« Il semble que votre visite ait provoqué une grande agitation dans le pays, » fit remarquer un sage de Mareithia à un homme de lumière, assis à proximité. Ce dernier ne dit mot, mais ressentit une grande tristesse.

« Ne te décourage pas, » dit un autre grand sage de Sevenaaz. « Il y aura d'autres possibilités. » L'homme sourit avec reconnaissance, car c’était pure vérité.

Après avoir constaté le retour à la normale du doux mouvement de la terre, les membres du conseil ont conclu que rien de plus ne serait vraiment fait pour maîtriser la situation. Avec le temps, les habitants ayant fait l'expérience dans leur logis des êtres lumineux et bienveillants auraient la possibilité de profiter de cette occasion privilégiée pour entrer en contact avec eux le cœur pur ou pour les décourager en ignorant leur présence. Les villageois qui constateraient la métamorphose de l’herbe ou de l'eau aux couleurs inhabituelles et éblouissantes finiraient par comprendre qu'il était tout à fait normal que les mondes s’inscrivent dans une constante évolution à la fois en eux et en dehors d’eux.

Faynella était quant à elle promise à une grande destinée. Plus tard, après avoir cessé de s'apitoyer sur son sort, elle pourrait enseigner aux autres comment trouver en eux la force de dénouer les situations difficiles. À ce moment-là, ce serait la patiente et généreuse Serri qui lui servirait de guide, car une fois l’amitié retrouvée, c'est elle qui aiderait son amie Faynella à quitter son monde factice et égocentrique pour s’ouvrir à la noblesse du parfait l'accomplissement.

 

Traduction par Michèle Lessard lessardmichele@videotron.ca

 

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