Contes spirituels pour un monde nouveauCommémorer les festivités (format pdf)Depuis l'aube teintée de rose, les abeilles, caressées par la douce lumière du matin, étaient posées sur le trèfle gorgé d’humidité. L’air dégageait un délicat parfum automnal. Tout était paisible, la nature se réveillait en douceur. Lentement, depuis le ciel de l'est, un petit vaisseau spatial, caressé par le soleil levant, descendit comme une feuille de chêne et se posa délicatement entre de vieux saules et un ruisseau limpide. Deux jeunes gens souriants – un homme et une femme – sortirent silencieusement du véhicule stellaire et, avec la plus grande révérence, posèrent leurs pieds parfaitement formés sur la terre. L'homme, grand et beau, émit une pensée à l’intention de sa compagne : Cela fait longtemps que nous ne sommes pas venus ici, n'est-ce pas Tannaël ? Tannaël répondit en silence : Pour moi, cela fait longtemps, mais n'étais-tu pas ici plus récemment pour offrir ton aide, Seemer ? Ah oui, se rappela Seemer avec un hochement de tête quelque peu nostalgique, j’ai aidé les villageois à voir les choses d’un œil bienveillant. (Se référer au conte intitulé Seemer et le don de la transformation) Tannaël, aux yeux d'un vert profond et à l’abondante chevelure rousse tombant sur les épaules, se pencha sur une petite grenouille qui la regarda avec adoration. Elle toucha les pattes tordues de la grenouille, qui retrouvèrent instantanément une parfaite santé. Éperdue de gratitude, la grenouille s'éloigna en bondissant de joie vers le ruisseau qui tombait en cascade pour admirer son nouveau reflet. Tannaël rit de plaisir et se retourna vers Seemer. Découvrons comment les gens vivent maintenant, émit-elle en silence. D'un pas décidé et vêtus de couleurs assorties selon le style naturel de la région, ils se mirent en route en direction des endroits habités des prairies. C'était la période des récoltes et les villageois se préparaient pour les festivités du midi. De grandes tables en bois luisant, saupoudrées de poussière d’or et garnies de fleurs. odorantes, avaient été installées dans des zones ombragées. Les instruments étaient accordés, les cuisiniers fredonnaient des airs mélodieux et l’odeur à la fois sucrée et salée du pain fraîchement sorti du four tourbillonnait dans l'air. C'était un moment à la fois solennel et joyeux où les villageois remerciaient la terre pour sa générosité et évoquaient la bienveillance de leurs compagnons ayant quitté le pays. Loin de tous, dans un recoin de pierre, la jeune Nillay était assise, le visage trempé de larmes. Ses doigts, étrangement déformés en raison d’une maladie récente, étaient serrés sur ses genoux, dissimulés sous un châle de laine. Nillay avait le cœur serré et ressentait une amère jalousie en regardant les autres jouer joyeusement et habilement de leurs instruments parce qu’elle ne pouvait plus jouer de sa sansarra, une petite harpe connue dans la région pour sa sonorité particulièrement claire. Sa colère, impossible à maîtriser, était inapaisable. « Je déteste la musique, », murmura tristement Nillay en faisant claquer une langue épaisse et en s’adossant un peu plus à la pierre froide et fissurée du mur du village. « Bonjour Nillay. » Nillay leva légèrement la tête et vit un magnifique couple se tenir près - trop près - d'elle. Les paupières gonflées de larmes, elle remarqua des cheveux roux, des yeux verts, puis un très beau jeune homme brun de peau. Comment se fait-il qu’ils connaissent mon nom se dit-elle? La curiosité l'emporta peu à peu sur sa mauvaise humeur. « Pourquoi es-tu si malheureuse ? » Demanda la fée (du moins, Nillay pensait qu’il s’agissait bien d’une fée). Nillay se détourna rapidement et griffa ses doigts tordus sous son châle tissé. « Je ne peux pas jouer de ma sansarra, » marmonna-t-elle la voix brisée par le ressentiment et l’apitoiement. « Oui, je vois cela, » répondit gentiment la dame. La curiosité de Nillay s’intensifia. Comment se fait-il qu’elle soit au courant de l’état de mes doigts ? Peut-elle voir à travers mon châle ? Se dit-elle. « Je peux peut-être t’aider, » proposa la femme aux yeux verts en se penchant pour prendre les mains de Nillay sous son châle et les placer dans les siennes. Une douce chaleur, semblable à celle d'un chaton se prélassant au soleil, se dégagea lentement. Nillay constata qu’elle avait été privée d’un réconfort aussi doux depuis de très nombreuses lunes. Étonnée, elle regarda ses mains à travers les doigts ensoleillés de sa nouvelle amie et découvrit que ses propres doigts étaient presque droits ! Presque ! Mais pas tout à fait. L’immense joie de Nillay fut de courte durée. Elle éprouva immédiatement une amère déception dans son cœur. Non, ses mains ne lui permettraient pas de jouer de la sansarra. « C'est vrai » répondit Tannaël à voix haute. « Tes doigts ne sont pas encore tout à fait guéris pour jouer de la harpe, mais je me demande si tu peux chanter. » « Chanter ?! » Articula-t-elle vivement. Elle s’accrocha à cette idée tout en éprouvant une curiosité mêlée d’inquiétude. « Je n'ai jamais appris à chanter. » Elle retira tristement ses mains et se serra un peu plus contre le mur de pierre froide. « Pourquoi ne pas essayer ? Tu es loin de la foule et nous, tes amis, seront les seuls à t'entendre, » encouragea Tannaël en souriant à Seemer. C'est ainsi que Nillay commença à chanter d'une petite voix et découvrit peu à peu qu'un nouveau monde musical s'ouvrait à elle. Comme l’éclosion de la première fleur à la fonte de la neige au printemps, Nillay chantait de plus en plus fort en faisant vibrer l'air festif de l'automne. Elle s'approcha des grandes tables où l'on servait du pain chaud. Sa douce chanson étonna si bien les boulangers qu'ils ne purent détacher leurs yeux de Nillay et se heurtèrent aux assiettes chaudes qu’ils tenaient à la main. Les autres villageois l'entourèrent avec admiration, les cœurs battant au rythme de ses merveilleuses mélodies. « C'est un miracle ! » s'émerveilla Nillay. « Cette charmante dame fée et son compagnon m'ont aidée. » Elle regarda rapidement autour d'elle en voulant présenter ses nouveaux amis, mais ils avaient disparu. De retour au ruisseau et aux saules, Seemer sourit à Tannaël, et lui dit en silence : je suppose que les doigts de Nillay guériront plus tard. C'est très probable, répondit-elle en souriant silencieusement, lorsqu’elle aura fait une place dans son cœur pour l'appréciation et la gratitude. D'une certaine manière, je ne pense pas que cela sera très long. Après avoir jeté un dernier regard bienveillant sur les prairies fleuries où butinaient une colonie d’abeilles gorgées de nectar, tous deux prirent tranquillement place à bord du vaisseau et mirent le cap sur une étoile non loin de là. Cet après-midi-là, Nillay entraîna les villageois dans des chants à couper le souffle, louant la beauté de la Création. Plus tard dans la soirée, lorsque Nillay et d’autres habitants joyeusement épuisés furent rentrés dans leurs logis pour enfin s’abandonner au sommeil bienfaisant, quelques villageois attardés murmurèrent autour du feu qui s'éteignait : « Elle a une si belle voix notre Nillay. Pensez donc ! Si elle avait continué à jouer de la sansarra, elle n'aurait jamais découvert son nouveau don. » Nillay n'a jamais oublié sa rencontre avec ses mystérieux amis et leur a souvent exprimé sa gratitude pour l’aide apportée. À la fin des pluies saisonnières, elle acheva son premier poème-chanson, Heranner Appono, qui signifie en langue ancienne "Commémorer les festivités". Un beau soir, elle le chanta autour du feu tout en caressant doucement les fils délicats de sa sansarra bien-aimée. Les villageois sourirent et se saluèrent d'un signe de tête. Écouter la musique aérienne de Nillay et entendre sa voix cristalline les remuait plus profondément que le plus grand festival du pays.
Traduction par Michèle Lessard lessardmichele@videotron.ca
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