Contes spirituels pour un monde nouveau

Le chemin du retour (format pdf)

Au coucher du soleil, Aaterran réalisa qu'il était loin des prairies et de l’immense forêt de Mareithia. En fait, il était plutôt perdu. Il avait cherché sans relâche le début d'un petit sentier en direction du cap sud et de la maison. Il ne voyait que des collines pierreuses au feuillage orangé et des pierres moussues qui dégringolaient en s'effritant sous ses grands pieds devenus lourds.

Pendant de nombreuses années, Aaterran, l'aîné d'une famille de sept garçons, avait aidé sa mère et son père en encourageant et en conseillant ses frères et voici maintenant qu’il était lui-même égaré.

Voilà qui est étrange, pensa-t-il, je ne sais pas de quel côté diriger mes pas. Aaterran n'avait pas peur, car son amour de la terre était aussi profond qu’infini, mais il était épuisé. Une grande fatigue avait lentement commencé à se manifester dans son corps comme du sable clair s’écoulant entre des doigts à moitié fermés et il savait que le sommeil viendrait tôt ou tard, qu'il y soit invité ou non.

Aaterran était considéré par les villageois comme un ancien - non seulement en raison de sa taille, mais également de sa sagesse. Le soir autour du feu, les villageois murmuraient qu'il venait du pays des géants. En effet, Aaterran était remarquablement grand et, étonnamment, le seul de sa famille à avoir atteint une telle taille. Ces faits avivaient d’audacieuses spéculations et suscitaient la profonde admiration de ceux qui le rencontraient. Aaterran, comme beaucoup d'autres, était un voyageur et, comme beaucoup d'autres, il avait rapporté de nombreux récits de ses aventures. Au surplus, les villageois appréciaient par-dessus tout la grande sagesse dont Aaterran faisait preuve lorsqu’il exposait des récits fantastiques.

Je me demande comment j'ai acquis une telle sagesse, songea Aaterran, en ralentissant sa marche tout en hochant lentement la tête, et pourquoi je suis si différent de ma famille. Il respira le capiteux parfum de miel épicé et de pierre humide, trouva un lit de feuilles orangées, s'y allongea et tomba dans un lourd sommeil.

Tôt le lendemain matin, d'élégantes fougères que des gouttes de rosée argentées avaient courbées, chatouillèrent le nez d'Aaterran pour le réveiller. Aaterran se retourna en marmonna des mots sans suite entre ses dents tout en se frottant le visage d’un doigt impatient. Ce faisant, il sentit qu'il n'était plus seul. Alarmé, il se leva à la vitesse de l’éclair et vit qu'il était entouré d'étrangers. En fait, douze géants au regard rayonnant l’encerclaient en arborant un large sourire dans sa direction.

C'est ainsi qu’il se retrouva au milieu du Grand Peuple.

« Qui êtes-vous ? » demanda Aaterran, stupéfait.

Une forte femme d'une taille exceptionnelle à la somptueuse chevelure noire et aux splendides yeux d’un brun doré, prit la parole. « Tu ne nous reconnais pas ? Tu fais partie de notre famille. Tu es parti explorer la terre il y a de cela plusieurs lunes. » Elle poursuivit tristement « Tu as ensuite trouvé une nouvelle maison et tu nous as oubliés en aidant ta nouvelle famille. »

Quelque part au fond de lui, Aaterran comprit qu'elle disait la vérité et son cœur s'ouvrit. Les souvenirs remontèrent à la surface à l’instar d’un petit ruisseau prenant sa source dans les prairies.

« Imorow. Ton nom est Imorow et tu es ma sœur » murmura Aaterran stupéfait. Comme s’il était enveloppé d’une brume aussi épaisse que cotonneuse, il se souvint peu à peu des noms des êtres bienveillants qui l’entourait les bras grands ouverts en affichant des visages radieux. « Vous êtes ma famille, ici, bien au-delà des montagnes aux reflets mauves et de la forêt sacrée de Mareithia ! » Aaterran sourit largement, les yeux ruisselant de larmes de joie.

Aaterran resta plusieurs jours et plusieurs nuits avec sa famille, le Grand Peuple. Il écouta des récits envoûtants d'une grande sagesse. Un beau soir, alors que la dernière des douze torches était allumée en prévision de la danse musicale appelée la Célébration de la Lumière de la Terre, Aaterran sut, bien qu’il aimât profondément sa famille ici, qu’il devait retourner auprès de son autre famille dans les prairies. On avait encore besoin de lui là-bas. Une fois la décision prise dans son cœur, Aaterran exécuta la puissante danse de la Lumière de la Terre, dormit une fois de plus au sein de sa famille de géants et s’apprêta à partir juste au moment où le soleil perçait le seul et unique nuage de la journée. Imorow, les joues ruisselant de larmes, serra son frère dans ses bras et lui donna le dessin d’une carte lui permettant d’atteindre le cap sud.

Aaterran acquiesça d'un bref sourire, la serra contre lui, fit un respectueux salut au Grand Peuple de son cœur et amorça sa descente vers les collines pierreuses au feuillage orangé.

Aaterran, qui avançait à grandes enjambées, trouva facilement son chemin vers le cap sud et ses pas résonnèrent bientôt sur le Cheminaad. Quel merveilleux moment j'ai passé, pensa-t-il, et quelle chance j'ai d'avoir deux familles. Cela signifie que j'ai maintenant deux façons de rentrer chez moi ! Aaterran vit que les fleurs en bordure de la route hochaient la tête en signe d’acquiescement, il poursuivit sa route d’un pas joyeux en fredonnant la musique de la Célébration de la Lumière de la Terre.

 

Traduction par Michèle Lessard lessardmichele@videotron.ca

 

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